Imposé depuis 1826 dans l’Empire ottoman par le sultan réformateur Mahmud II, le fez rouge (appellation locale du tarbouche) remplace le turban traditionnel, comme symbole de la modernisation sociétale, et est importé tout naturellement, par Ibrahim pacha, des rives du Bosphore vers celles du Nil, en changeant de nom.
“Dans la fonction publique, la magistrature, l’armée ou la police, du plus modeste employé au roi lui-même, tous les hommes portent alors le tarbouche. Les officiers et fonctionnaires anglais l’adoptent, pour s’égyptianniser à bon compte et mieux s’insérer dans le décor. Quant aux Égyptiens désireux de s’occidentaliser, ils peuvent oser le complet-veston dans la mesure où ils ont la tête couverte de cet emblème national. Le tarbouche fait figure ainsi d’élément unificateur, de dénominateur commun, dans ce pays aux fortes disparités sociales, où se côtoient des nationalités différentes.” (Robert Solé)
Combattant dans un premier temps le tarbouche, car non conforme à leurs traditions, les oulémas de l’époque finissent par lui trouver des “vertus religieuses” et à l’adopter. “Un bon musulman, poursuit Robert Solé, devait porter le tarbouche et non un chapeau à visière, parce qu’il ne craignait pas le regard de Dieu et pouvait ainsi, pendant la prière, tête couverte, toucher la terre du front.”
La rue Masna’ al-tarâbich (“fabrique de tarbouches”) au Caire rappelle la production locale de ce couvre-chef aux “airs de pot de fleurs renversé”. Toutefois, jusqu’à la Première Guerre mondiale, ce sont les fabricants autrichiens qui produisent les meilleures qualités et dominent le marché.
Un
siècle et demi après son introduction en Égypte, la mode du tarbouche
subira le même sort que celui imposé en 1925 par Mustafa Kemal dans la
toute nouvelle République de Turquie : sa disparition ! Dans son
“Discours du chapeau”, Kemal Atatürk déclare que le fez est un “emblème de l'ignorance, de la négligence, du fanatisme et de la haine du progrès de la civilisation”. Et d’imposer le chapeau, “coiffure utilisée par le monde civilisé tout entier”. Puis de conclure : “S’il se trouve des gens qui hésitent, je les dénoncerai pour ignorance et sottise.”
Par étrange mimétisme, la suppression du tarbouche “est brutalement décrétée en 1952 par les officiers qui prennent le pouvoir [en Égypte] :
ce symbole de l’ancien régime doit disparaître et ne sera pas remplacé.
Seuls quelques hommes âgés continueront à porter le tarbouche. On n’en
fabriquera plus désormais que pour les serviteurs des grands hôtels et
les touristes, pour le folklore.” (Robert Solé)
À cette liste restrictive, il convient d’ajouter les acteurs et les shaykhs et les imâms, porteurs de la ‘amâma
distinctive de leur fonction. Toutefois, l’industrie du tarbouche est
définitivement révolue. Il ne reste plus actuellement au Caire qu’un
seul (et dernier ?) fabricant, Mohammed Ibrahim, rue Al-Ghoria, entre
Khan al-Khalili et Bab Zuweila. Pour un authentique tarbouche fait main
(trois heures de travail), il faut compter, précise-t-il, de 20 à 250
livres égyptiennes. Tout dépend de la matière utilisée.
“La fabrication des tarbouches ne semblait pas particulièrement compliquée, nous rappelle à nouveau Robert Solé, notre guide au coeur des secrets de ce métier menacé de disparition. Pour
feutrer le tissu de laine, on le battait dans une chaudière contenant
de l'eau chaude et du savon en poudre. Puis on le passait à la forme [à
l’aide de moules de cuivre ou d’argent, chauffés à la flamme, et d’une
presse surdimensionnée], on redressait ses poils au moyen d'épines de
chardon, et on le rasait. il ne restait plus qu'à le teindre et à lui
donner l'aspect désiré.”
Faisant transpirer et, semble-t-il, occasionnant une calvitie plus précoce, le tarbouche n’était pas adapté au climat égyptien. Mais il faisait réellement “couleur locale”. “Si vous posez côte à côte sur une table le chapeau européen et le tarbouche, observe l’un des héros du roman Le Tarbouche de Robert Solé, peut-être le premier l’emporterait-il. Mais mettez-les sur la tête, et vous verrez la différence ! (...) Le tarbouche est un objet vivant, un objet qui parle. regardez comme il se tient droit sur la tête des gens très sérieux, ceux qui ne veulent pas se faire remarquer. Chez les élégants, en revanche, il est presque toujours incliné sur le côté. À droite ou à gauche, selon les goûts et la personnalité. Mais si le tarbouche penche en arrière, son propriétaire fait généralement partie de la race des viveurs. (...) Quand le tarbouche penche en avant, vous pouvez être sûr d’avoir affaire soit à un imbécile, soit à un malappris.”
Cela, c’était autrefois...
Quand Mohammed “al-tarbishi” prendra sa retraite, c’est toute une longue tradition égyptienne qui prendra sa retraite avec lui. Ainsi qu’un savoir-faire transmis de génération en génération.
article publié dans "égyptophile" : voir ICI
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire