vendredi 5 octobre 2018

bawab

Photo extraite de Fickr/Yosita - http://flickrhivemind.net/Tags/bawab/Interesting
Mieux vaut l’avoir avec soi que contre soi ! C’est ce que l’on dit et lit fréquemment. Généralement vêtu de la traditionnelle galabeyya et d’un turban, fidèle en cela aux traditions de sa Nubie ou de son Soudan d’origine, il a pour outil de travail… un siège, du simple tabouret à la guérite. Ajoutez des oreilles, des yeux et une langue. Éventuellement, un bâton et un chasse-mouches.
Sa fonction, ses fonctions plutôt : surveiller les entrées et sorties d’un immeuble. Nettoyer l’escalier. Dissuader et éloigner les importuns. Jeter un peu d’eau sur la chaussée devant l’entrée de l’immeuble pour neutraliser la poussière. Sur demande et moyennant bakchich : garder et laver les voitures. Monter les courses à l’étage. Effectuer de petites réparations. Aider à trouver une location d’appartement (n’oubliez pas la commission !). Faire le point avec ses collègues de proximité sur la vie du quartier. Au besoin, donner quelques indications utiles à la police. Répondez ou non à ses questions, de toute façon, il finira par avoir la réponse. 
Bref, il sait tout. Ou presque tout. Il voit tout. Il entend tout. La rue lui appartient, avec ses grands et petits potins. Le moindre mouvement habituel ou suspect dans la vie de “son” immeuble est noté, interprété. Fonction ou commodité oblige, souvent, il loge sur place, dans un réduit. Toujours attentif, sa vigilance prenant parfois des airs de somnolence, mais ne vous y trompez pas ! Il ne dort que d’un oeil."Nous savons tout, affirme Mohammed Hassan, 25 ans de métier dans un immeuble cossu le long du Nil. Nous connaissons tout le monde ici. Nous savons tout sur tous, leurs relations, qu’elles soient amicales ou non. Nous savons combien il y a de personnes dans chaque appartement, l’heure à laquelle elles le quittent pour se rendre à leur travail, et l’heure à laquelle elles rentrent… 
On l’aura reconnu : c’est bien sûr de l’incontournable bawab qu’il s’agit, concierge ou portier de son état, l’un des plus importants personnages de la société égyptienne. Une véritable institution. Que serait l’Égypte sans ses bawabs ?
Pour quel salaire effectue-t-il ce métier ? Faute de convention collective, contentons-nous du point d’interrogation. Vraisemblablement, la réponse est dans le cas par cas, compte tenu du nombre de résidents dans l’immeuble, des ententes préalables et, à l’évidence, des appoints en bakchichs.
Cet émigré de l’intérieur provient d’une région en pénurie d’emplois. La solidarité fait que l’éventuel nouvel arrivant trouve auprès de ses connaissances des pistes pour trouver lui aussi un emploi.
Tels qu’ils apparaissent dans les stéréotypes nationaux, écrit Frédérique Fogel dans “Figures nubiennes de l’ethnie, de la minorité, de la nation (Égypte, Soudan)”, les Nubiens soudanais sont chauffeurs de taxi ou Premiers ministres. En Égypte, ils ont longtemps détenu le quasi-monopole des fonctions de gardiens d’immeuble et de serviteurs dans les grands hôtels, les consulats et les ambassades, évoluant dans le milieu cosmopolite jusqu’à la révolution de 1952. Beaucoup perpétuent la tradition, au Caire, à Alexandrie et dans les pays du Golfe ; d’autres travaillent dans l’administration et occupent d’autres postes dans les services ; rares sont ceux qui renoncent au statut de col blanc.
Dans son “Dictionnaire amoureux de l’Égypte” (Plon 2001), Robert Solé complète le portrait type en ces termes : “La mobilité professionnelle n’est guère prisée dans ce métier. Un bon baouab vieillit sur son siège. Pas de retraite non plus : un vrai baouab meurt assis. Le métier est moins solitaire qu’il n’y paraît. La baouab est en contact permanent avec ses homologues des immeubles voisins. Il n’hésite pas à faire appel à eux pour déplacer un meuble trop lourd. Souvent les sièges se rapprochent, les soirs d’été, et l’on échange à perte de vue des propos définitifs sur les heures qui passent. Cet ange gardien est le gardien du temps.
 
Et pourtant, la roue du temps tourne, inexorable. Il est constaté que les Nubiens, célèbres pour leur fiabilité, leur dignité, leur imposante stature et leur “saveur rurale”, délaissent la fonction. “Le portier nubien, nous écrit Albert Arié, Cairote de longue date, est en voie de disparition. L'image traditionnelle du portier assis placidement à côté de la porte de l'immeuble, se grattant les orteils, est passablement écornée. Depuis déjà plusieurs années, les portiers nubiens ont été remplacés par des portiers originaires de la province d'Aswan ou de Haute-Égypte. Les deuxième et troisième générations ont boudé le métier et seuls les descendants occupent maintenant les terrasses, sans payer ni loyer ni électricité. À l'heure actuelle, les portiers sont en général des jeunes de Haute-Égypte, payés au SMIC par les locataires et vivant surtout de travaux supplémentaires dans l'immeuble ou même de ménages et bien sûr, les très grands immeubles ont fait appel à des sociétés de gardiennage, toutes dirigées par d'anciens militaires ou policiers.
Serait-ce bientôt la fin d’une époque ? Le “gardien du temps” aurait-il fait… son temps ?


article publié dans "égyptophile" : voir ICI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire