jeudi 4 octobre 2018

Fishawy


Le Caire doit sa réputation touristique à ses pyramides, à la richesse architecturale de ses monuments, dont d’innombrables mosquées, à son quartier copte, à sa Citadelle, à Khan al-Khalili... et, au coeur de ce souk mondialement connu, à un lieu où aiment à se retrouver les Cairotes et de très nombreux étrangers visitant la capitale égyptienne : le célébrissime café al-Fishawy.
Non loin d’al-Azhar et de la mosquée el-Hussayn, ce “ahwâ” est l’un des plus anciens cafés du Caire, sinon le plus vieux. On lui attribue même l’honneur d’être le café le plus célèbre du monde arabe. C’est en tout cas un “monument” de la vie égyptienne traditionnelle, un lieu incontournable pour découvrir une habitude bien ancrée parmi les fils du Nil : celle de fumer la “chicha” (pipe à eau), en alternance avec un café “masbout”, “sâda” ou “soukkar ziyâda”, “le regard perdu dans un désert imaginaire, comme l’écrit si joliment Boutros Boutros-Ghali, (laissant) s’égrener le temps au rythme des bouffées odorantes qui embrument (le) cerveau”.
Depuis quand existe le Fishawy ? Les avis divergent très sensiblement en réponse à cette question. Benjamin Wiacek choisit 1849, en qualifiant le créateur du café de “grand chef de bande du quartier” (egyptos.net). Cette date est reprise par “Geoguide”, qui précise : “si l’on en croit la date gravée sur les bancs installés à l’extérieur”, tout en ajoutant qu’une partie du café fut alors détruite à la suite de l’agrandissement de la place el-Hussayn. Gaël Favari, dans The Global Journal (31/01/2012) opte plutôt pour 1710. On cite également 1773…
On retient plus communément 1797, date à laquelle ce lieu est imaginé par le hajj Fahmi Ali al-Fishawy pour servir le café à ses amis et à des visiteurs occasionnels après la prière du soir. Puis, la réputation grandissant, le hajj fait l’acquisition de quelques commerces jouxtant le café en vue de l’agrandir. Il y aménage trois salles, en soignant particulièrement la décoration et le mobilier. La troisième pièce, nommée “qâfiya” (rime), est réservée à des joutes oratoires.
Dans son roman Mendiants et orgueilleux (1993), Albert Cossery rappelle une autre appellation du Fishawy : “Le café des Miroirs était situé au croisement de deux ruelles ; il occupait la majeure partie de la chaussée de terre battue, interdite aux lourds véhicules, et où, seules, s’aventuraient les baladeuses des marchands ambulants. D’immenses toiles de tente s’étendaient au-dessus de sa tortueuse terrasse comme dans un marché couvert. Un nombre impressionnant de miroirs, aux cadres sculptés et recouverts de dorures, étaient accrochés partout, à même les façades des masures environnantes. Le café des Miroirs était réputé pour son thé vert et l’éclectisme de sa clientèle composée de charretiers, d’intellectuels, et de touristes étrangers assoiffés de couleur locale. (...) Le café des Miroirs paraissait être un lieu créé par la sagesse des hommes et situé aux confins d’un monde voué à la tristesse.
Après plus de deux siècles d’existence, ce lieu mythique est préservé par ses propriétaires actuels (des Fishawy de septième génération) dans un état d’authenticité le plus proche possible de sa configuration d’origine. Ils ont voulu en améliorer la décoration, en repeignant les murs, mais ils ont dû faire immédiatement face à un tollé des clients. Le Fishawy poursuit ainsi sa belle histoire, au coeur du Caire fatimide, accueillant écrivains, poètes, artistes, intellectuels, étudiants, artisans, ouvriers, touristes… On vient, au milieu de la foule et du bruit, dans un désordre très “organisé”, siroter un thé à la menthe, un thé anisé, un café, un verre de karkadé, un jus de fruits frais, sans oublier bien sûr la sempiternelle chicha aux glouglous si caractéristiques, presque harmonieux. On se plaît à rappeler que le Fishawy a été fréquenté par de nombreuses personnalités, dont le roi Farouk, le poète Ahmad Rami, auteur de plusieurs chansons d’Oum Kalthoum, Alex Halley, auteur de “Roots: The Saga of an American Family”, Gamal al-Din al-Afghâni, fondateur du réformisme musulman, Muhammad Abdou… Mais il est un écrivain qui l’a plus que tout autre marqué de son empreinte : l’écrivain Naguib Mahfouz. Le Prix Nobel de littérature y avait ses habitudes. Quasiment son quartier général ! L’atmosphère l’inspirant, il y a écrit certaines pages de ses plus célèbres romans. “Les cafés, affirmait-il, demeurent pour moi des lieux de souvenirs précieux liés à l’amitié, à la jeunesse, aux meilleures heures de la vie. (...) Le café joue un rôle important dans mes romans, et je dirais plus généralement dans notre vie à tous. Autrefois, les clubs n'existaient pas et c'est au café qu'on rencontrait ses amis. Il faut dire que la maison n'était pas un lieu propice à la distraction et à la détente. Nous avons tout d'abord investi l'espace de la ruelle, en attendant d'avoir l'audace d'entrer au café. Le temps que je passais installé au Fishawy fécondait ma réflexion, le narghileh stimulait mon imagination et, à chaque bouffée, je voyais une scène nouvelle se dérouler dans mon esprit. Les jours de congé, je passais au Fishawy la plus grande partie de mon temps. Et puis, le café est un lieu de fête, c'est là que se rencontrent les amis. Les cafés demeurent pour moi des lieux inoubliables. Tous sont chargés de souvenirs précieux, liés à l'amitié, à la jeunesse, aux meilleures heures de la vie.” (cité par “les actualités du droit” - 25/12/2008)
Bien ancré dans ses traditions, le Fishawy représente une certaine “Égypte du passé”. Certes, un flou demeure autour de ce passé qui fut le sien, notamment à propos de ses origines. Mais à quoi bon pinailler sur une histoire qui manque de repères précis ? Retenons-en plutôt le merveilleux et ce brin de légende qui n’est pas pour nous déplaire.


article publié dans "égyptophile" : voir ICI

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