vendredi 5 octobre 2018

moucharabieh

photo de Zangaki
Ils ne sont pas propres à l’Égypte, car on en trouve dans d’autres pays, comme éléments architecturaux permettant de ventiler l’habitat et de se protéger d’un soleil particulièrement généreux. Mais, outre leur utilité, les moucharabiehs sont assurément une curiosité touristique de certaines villes égyptiennes, en tout premier lieu Damiette et le vieux Caire.
Malgré un certain flou qui demeure sur l’étymologie du mot “moucharabieh”, on s’accorde globalement à le faire dériver de “ch-r-b”, qui signifie “boire” en arabe. Le moucharabieh est ainsi “le lieu où l’on boit”, l’endroit ventilé d’une demeure où l’on dépose les gargoulettes ou autres pots en terre contenant l’eau potable pour la faire rafraîchir.
Le moucharabieh du Caire, précise Maha Ghanam dans une étude consacrée au système d’aération dans les grandes demeures cairotes sous l’empire Ottoman du XVIe au XVIIIe siècle, est un exemple d’élément architectural témoignant d’un haut degré de civilisation. Loin d’être une "cage à dissimuler les femmes", comme l’optique occidentale puis touristique a réussi à le faire croire (...), le moucharabieh est une ingénieuse solution de climatisation urbaine. (...) Filtrer air et lumière pour permettre à un local de “respirer” tout en se gardant de la violence du soleil pouvait déjà s’obtenir par ces claies importantes qui occupaient des pans de façade depuis l’Antiquité peut-être. Mais il s’agit là de véritables petites loggias surélevées, entièrement à claire voie sur rue ou sur cour.
Extension aérienne, sous forme de loggia, d’une habitation, donnant directement sur la rue et permettant de voir sans être vu, le moucharabieh a inspiré et séduit l’imagination des voyageurs en quête d’images insolites dignes des Mille et Une Nuits. Ainsi ce Lyonnais racontant ses souvenirs de pèlerinage en Égypte et Palestine en 1891 : “Les moucharabiehs sont des espèces de balcons étroits défendus par une grille à malles serrées derrière laquelle on aperçoit de temps en temps la silhouette de quelque musulmane, qui charme les loisirs de sa captivité en regardant les passants.
Est-ce par ces voies mystérieuses, écrit pour sa part Arthur Rhoné en 1910 dans “L'Égypte à petites journées”, que se transmettent instantanément les nouvelles, d'un bout à l'autre de la ville ? Est-ce par là que se trahissent les secrets d'État, que se font les élévations subites et que se défont les existences ? Parfois, dans le silence, le frémissement furtif d'un tambourin de harem vient à s'échapper de l'une ou l'autre de ces cages aériennes qui toujours semblent chuchoter entre elles et vous épient à la dérobée, de leurs cent yeux d'Argus ; et toujours on croit saisir au passage quelque bruit étouffé : rire moqueur, bâillement ou soupir de la musulmane qui végète, oisive et curieuse, derrière ces jolies grilles de prison.
Si l’utilisation des moucharabiehs peut avoir, en Égypte, une origine antérieure à l’arrivée des Arabes et de l’Islam, il semble admis que leur généralisation remonte à l’époque fatimide (XIe - XIIe s.), limitée toutefois aux édifices religieux. Ce n’est qu’à l’époque mamelouke (à partir de la moitié du XIIIe s.) qu’ils commencent à faire partie de l’habitat profane, notamment des somptueuses demeures de la bourgeoisie cairote. Puis les décisions résolument modernistes de Méhémet Ali, inspirées de l’architecture et de l’urbanisme à l’occidentale, mettront fin, à partir du milieu du XIXe s., à cet engouement pour les “grillages en bois tourné”. Cette industrie connaîtra alors un déclin qui, par ailleurs, ne fera pas que des mécontents, “car les Anglais, écrit Jean Bayet en 1911 dans “Égypte”, se sont pris de goût pour ces jolis objets qu'ils ont voulu faire servir à la décoration de leurs maisons. Les moucharabiehs ont été accaparés par les marchands du Caire, et transformés en ces meubles arabes, si répandus aujourd'hui en Angleterre.

En raison de la pénurie, voire de l’absence, des ressources locales en bois, les menuisiers ébénistes égyptiens devaient faire appel aux essences importées de Syrie, d’Asie Mineure, du Liban, d’Afrique ou de certains pays d’Europe (sapin, cèdre, pin, amandier, etc.). Les centaines et milliers de pièces travaillées étaient assemblées à l’aide de tenons et de mortaises, sans clous ni colle, “pour permettre au bois, précise Maha Ghanam, de se contracter et de se dilater selon les conditions climatiques sans endommager la matière”.
Estompée suite à l’évolution et aux caprices des choix architecturaux, la technique artisanale de la fabrication des moucharabiehs ne peut toutefois pas s’éteindre. Il en va, pour l’Égypte, de la sauvegarde et de la mise en valeur d’une part de son patrimoine. Telle est, entre autres initiatives, la vocation que s’est donnée l’Institut Nadim pour l’artisanat du moucharabieh, créé en 1978 par Assaad Nadim, “grand amoureux de l’artisanat égyptien, (qui) a consacré une grande partie de sa vie à ressusciter les vieilles demeures du quartier de Darb Al-Asfar, dans Le Caire fatimide, tout en respectant la vie de ses habitants”. (Loula Lahham, Al-Ahram Hebdo, 26 nov. 2003).
 
Aujourd’hui, depuis 1999, Adham Nadim est à la tête de cette entreprise devenue très florissante, avec notamment une clientèle de grands hôtels. Les contraintes économiques ne sont évidemment plus les mêmes qu’à l’époque des Mamelouks. Mais pourquoi ne pas continuer à faire place au rêve ? “La jolie chose qu'un moucharabieh, écrivait “un Parisien”, en 1889 lors de l’Exposition universelle. Figurez-vous une fenêtre obscure, un balcon opaque, fait pour laisser passer l'air et non la lumière, pour voir le dehors et n'être pas vu. Il n'est pas un moucharabieh de la rue du Caire qui ne soit antique et authentique. (...) Le bois en est travaillé avec un art naïf et raffiné. (...) Il aurait l'imagination bien froide et bien stérile celui qui ne se plairait pas à deviner derrière ces dentelles serrées de bois contourné, des voiles soulevés, de grands yeux noirs et ardents, curieux et moqueurs, des lèvres carminées, des cheveux d'ébène, enfin un rêve des Mille et une Nuits.” 

cet article a été publié dans "égyptophile" : voir ICI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire