jeudi 4 octobre 2018

makouagui baladi


En 1996, l'Égypte comptait encore 11 255 repasseurs, dont 3359 pour la seule ville du Caire.
Combien sont-ils aujourd’hui ? Nous ne disposons pas de données actualisées, mais il est évident que la profession est fortement menacée par la généralisation et l’introduction dans les foyers du fer électrique.
Au nombre de ces “makouaguis” figuraient de nombreux repasseurs “au pied”. Certains, sans doute de plus en plus rares, exercent encore ce métier traditionnel, introduit en Égypte par les Mamelouks.
La profession du “makouagui” a ses règles, ses traditions, son humour, son langage. Elle s’honore d’avoir eu dans ses rangs le chanteur populaire Shaaban Abdel Rahim. Elle est présentée comme un métier d’homme. Vu le mastodonte qui tient lieu de fer et la gymnastique imposée par ce travail, on comprend pourquoi !
La table de repassage est basse, faite de ciment et recouverte d'un morceau de drap. À proximité, derrière le “makouagui”, le four où sont chauffés les deux fers utilisés en alternance. Tout proche également, un bac où le repasseur puise avec un gobelet l’eau qu’il met en bouche pour la pulvériser en minuscules gouttelettes sur le linge à humidifier avant repassage.
Quant au fer, qui tient plus de l’outil préhistorique que notre électroménager actuel, il se compose d’un lourd bloc de fonte aux formes arrondies, complété par un manche en bois légèrement recourbé.
Lorsque la pièce à repasser est prête, consciencieusement étirée, le repasseur se saisit de son fer, à deux mains, l’approche de son visage pour tester la chaleur, puis le pose sur la table, installe dessus un tasseau de bois sur lequel il pose un pied nu, et c’est parti pour une série de zigzags et va-et-vient sur le vêtement ou le tissu à repasser. Le manche du fer, tenu d’une main, sert de gouvernail et le pied complète la manœuvre, en appuyant fortement pour faire disparaître les plis les plus récalcitrants, tandis que l’autre main maintient et étire le tissu.
Les gestes sont exécutés avec précision, sinon, un accident, parfois grave, peut se produire.
Face à la concurrence des “makouaguis afranguis” (repasseurs modernes, utilisant le fer électrique), les “makouaguis baladis” (repasseurs traditionnels) s’efforcent de maintenir en vie leur savoir-faire. “Notre service est irréprochable, affirme Bakha, cité par ‘Al-Ahram Hebdo’. Ni les makouaguis afranguis, qui utilisent le fer à repasser électrique, ni les laveries ne sont capables de fournir la qualité de travail que nous offrons. La preuve : il n'est pas simple de manipuler un tel fer à repasser et peu de gens se hasarderaient à le faire. Les galabiyas kastour ou en laine des Saïdis (originaires de Haute-Égypte), ou bien celles formées de plis et que portent beaucoup de femmes, sont la bête noire des repasseurs afranguis. Ce sont des tissus qui exigent un fer chaud et lourd. C'est l'une des raisons pour laquelle mon client vient jusqu'à Gamaliya pour avoir un service impeccable contre une somme de 20 L.E., vu le grand effort effectué pour repasser ces vêtements.”
Pour défendre leur profession, les repasseurs traditionnels ont créé un syndicat en 1946, mais celui-ci a été supprimé par le ministère des Affaires sociales en 1969, à cause de sa faible activité et de ses moyens modestes.
Sans assurance sociale, ils sont laissés à eux-mêmes en cas d’accidents, lesquels sont “courants” : brûlures, chutes de fer à repasser sur un des membres inférieurs, maladies des voies respiratoires.
Par-delà son caractère insolite, pouvant inspirer de beaux clichés touristiques, le métier de makouagui est d’abord porteur d’une tradition séculaire qui entend poursuivre sa route… de pied ferme !

Le Progrès égyptien” - 15 octobre 2014

"Un savoir-fer menacé" (al-Ahram)
Cet article a d'abord été publié dans "égyptophile" : ICI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire